001 Le mystère du Frère Joseph

 Augustin Pasquier Frère Joseph 2017 ensemble peinture photo CL

La Valsainte

J’étais alors jeune artiste sorti des Beaux-Arts et j’avais reçu de mon père une commande pour un professeur de l’Université de Fribourg qui avait une affection particulière pour la chartreuse de La Valsainte. M’étant fait conduire sur les lieux, je me suis retrouvé avec mon père devant un mur et une perspective difficile à exploiter. Cherchant une vue plongeante, nous avions grimpé dans la forêt en amont du couvent. Là, nous rencontrons un frère de La Valsainte que nous prenons d’abord pour un simple promeneur. Il nous salue et nous propose de le suivre pour nous montrer son « biotope ». Nous escaladons à sa suite une pente raide, dans une forêt de sapins et nous arrivons dans une toute petite clairière, où le frère nous dit : « voilà ma rose ». Il venait chaque jour s’occuper de son rosier. Après l’avoir arrosé, il nous propose de le suivre sur d’autres pentes, pour nous faire découvrir un meilleur point de vue sur la chartreuse. Puis il nous fait entrer dans l’enceinte du couvent pour une incroyable visite improvisée qui a duré près de trois heures...

Il se présente, c’est le frère Joseph, le frère boulanger. Il nous fait visiter sa boulangerie. Il nous entraîne dans une des cellules, ces petites maisons à deux étages. Nous déambulons dans les couloirs, visitons l’église. Il nous fait même visiter la cave où il nous expose les problèmes architecturaux, les murs qui se fissurent, les infiltrations qui menacent. Nous nous retrouvons enfin dans un jardin extraordinaire avec des abricotiers. Nous goûtons quelques fruits. Puis il nous présente le frère couvreur, petit homme de 90 ans avec une longue barbe, qui courait sur les toits et avait une autre fonction, s’occuper d’un très grand rucher, ce qu’il faisait sans aucune protection, affirmant que les piqures d’abeilles était bonnes pour ses rhumatismes. Nous avons des discussions avec d’autres frères encore. Devant notre étonnement à visiter ce lieu d’habitude si fermé, les frères nous disent avec beaucoup d’humour et d’esprit critique: « nous avons déjà beaucoup donné à la chartreuse, nous avons bien le droit de vous faire visiter le couvent. »

Cette visite, dont je n’avais conservé en mémoire que quelques bribes – l’histoire du frère boulanger, petit Prince et sa rose, l’alerte frère couvreur aux gestes si délicats avec les abeilles – s’est précisée grâce à une discussion que j’ai eue récemment avec mon père à l’occasion de travaux dans son bureau. Alors que je l’aidais à décrocher les nombreux tableaux dont il a tapissé les murs à la manière des cabinets d’amateurs, je suis retombé sur une petite étude de La Valsainte que j’avais réalisée alors : il y a 26 ans.

Augustin Pasquier, texte lu lors de la performance pour la nuit des musée 2017